jeudi 22 août 2013

Quand les Bundeswahl et Hitler nous font une belle fin d'été

Avec ces températures exceptionnelles à Berlin cet été, il fallait bien que quelque chose (ou plutôt deux quelque chose) viennent nous casser un peu les pieds. Entre une après-midi loque au lac et un Freiluftkino, pourquoi laisser les gens profiter de la torpeur et de la farniente de l'été, bien méritée après un hiver berlinois sans fin

Les élections allemandes: les Bundeswahl de l'ennui

Déjà, les élections. Pour un français, ça fait un peu mal de repasser par cette effervescence politique qu'amène le grand bal des fausses promesses. Après les élections de l'année dernière, on pensait être débarrassés pour 5 ans, comme c'est le droit de chaque Français. Et bah non ! Pour tout expatrié qui se mérite, on a le droit aussi au bal des faux-culs dans notre pays d'accueil (à moins bien sûr de vivre dans une dictature). Auquel s'ajoute une frustration: celle ne pas pouvoir voter.

Elections Allemagne CDU - la droite
Affiche Electorale CDU - Vive la parité? Quand on voit comment l'Allemagne performe de ce côté là, ça me fait doucement rigoler.
Et en Allemagne, nous sommes en pleine campagne électorale JUSTEMENT cet été.  Les élections auront lieu fin Septembre, le 22 pour être exacte. La campagne, assez discrète les mois derniers, a fait l'apparition dans la rue avec un florilège d'affiches. On voit qui a le budget le plus serré: la CDU et le SPD s'affichent en grand dans les artères principales tandis que le Piraten Partei, Die Linke et les Grün la jouent modeste sur les lampadaires.

Elections Allemagne SPD - la gauche
Affiche Electorale SPD - Maman a l'air ravie d'être coincée toute la journée avec son mioche...
Elections Allemagne - Parti Pirate, les verts, les communistes
Affiches Electorales - dans l'ordre: Piraten Partei, die Grüne, die Linke. Voir la galerie complète avec explications (en allemand)
Bien évidemment, le FN allemand, notre ami le NPD, est aussi de la partie mais avec, cette année des affiches un peu plus propres sur elle même, politiquement plus correctes: typo soignée, un peu de jaune pour faire plus national, ravissants enfants blonds "bien Allemands", on se demande s'ils n'ont pas pris des cours de déguisement de thèses fumeuses avec notre blondasse bleu marine nationale... Et comme d'habitude, on s'attaque au Grand Méchant Musulman. Rien de bien original, en gros, de chaque côté du Rhin...
Mais attention, vous ne trouverez aucune affiche du NPD sur les murs de Berlin et de Brandenbourg, la région ayant considéré ces affiches racistes et insultantes pour l'Association Sinti & Roma (sans blagues...)

Bundeswahl - Elections Allemagne 2013 - ND
Affiches Electorales - NPS - Avec du bleu à la place du noir et du jaune, on aurait l'impression d'avoir de belles affiches pour le FN
Les deux plus grands partis ont pris des directions opposées au niveau stratégies et cela reflète bien leur façon d'enfumer de voir l'avenir des Allemands:
  • Côté "UMP allemande", la CDU nous vend du bonheur au goût de crêpes et de vent-dans-les-cheveux. Un papa aux dents trop blanches cuisine avec sa fille (ouais, la parité, youhou !), des slogans pour vanter la stabilité de l'Euro et plus de bonheur s'étalent un peu partout...(la série complète est dispo ici) "Jedes Familie ist anders" proclament les affiches de la CDU. Oui, donc, et les familles homoparentales, c'est du caca? Elles attendent toujours leur droit à se marier et à être reconnue à l'équivalent des autres familles... Et les 20% d'Allemands paupérisés par le Hartz IV, vous croyez qu'ils ont les moyens d'avoir du vent-dans-les-cheveux? Une campagne à l'effigie de l'action du gouvernement ces dernières années: rien de concret, rien de concret et rien de concret.
  • A gauche, le SPD montre des Allemands angoissés par le quotidien, entre manque de place en Kita, manque de la sécurité financière d'un Mindestlohn, appauvrissement des Seniors et augmentation fulgurante des loyers. Une conception moins joyeuse de la réalité, et plus terre à terre quant aux demandes quotidiennes des Allemands. N'empêche que la dernière fois que le SPD s'est retrouvé aux commandes, ils ont pondu les lois Hartz IV à qui on doit l'appauvrissement de ces sus-nommés 20% d'Allemands, principalement des femmes, des immigrés, des moins de 25 ans et de plus de 60 ans. Hum... de gauche, vous dites?
Elections Allemagne SPD - se moquer de Merkel
Affiche Electorale SPD - Tous les coups sont bons, pendant les élections. Merkel a le dos large (au figuré comme au propre d'ailleurs)
Ca vous donne déjà un bel aperçu de la "campagne" électorale et de ses rebondissements passionnants. Pour vous avouer, j'ai rien suivi de la campagne. Déjà, parce que je n'ai pas la télé et ensuite, parce que je ne peux pas voter. Ajoutez à cela que de toute façon, et comme me l'ont confié plusieurs amis allemands pas du tout acquis à la cause de la CDU, Angela Merkel va être réélue. "Elle est très allemande: elle ne fait rien. Surtout pas de vagues, surtout pas de grands changements. Et ça rassure les Allemands" m'a dit H., bavarois SPDien, un des rares Allemands a qui ça ne dérange pas de parler politique autour d'une bière. (Me comprendront tous les lecteurs français qui ont des amis allemands: avec les schleu, faut jamais parler de sujets qui fâchent, et surtout pas politique. Parlons plutôt de comment faire un jardin bio sur son balcon, c'est moins polémique. C'est bizarre pour nous autres Français, qui arrivons à nous engueuler autour d'un pastis tout en restant amis et sans faire une syncope. Bref, fin de la parenthèse)

Quand on se lasse (pas) de chasser des fantômes

Les élections, donc, c'est toujours le moment de sortir les sujets à "débat" (avec des guillemets, car justement, ce qui rebute l'Allemand, c'est le débat, je viens de vous l'expliquer).  Point Godwin atteint en un temps record cette année en Allemagne, avec une campagne magnifiquement appelée: Operation Last Chance (en plus c'est en anglais, v'là la crédibilité)

L'Allemagne, l'Holocauste et les Allemands.
Ces affiches au Slogan "Tard, mais jamais trop tard", visibles absolument partout sur les murs de Berlin cet été, sont l'oeuvre du centre Simon-Wiesenthal, spécialisé dans l’anti-sémitisme, qui a lancé une grande campagne de délation aide à l'identification des personnes ayant participé de près ou de loin à l’Holocauste. Avec une récompense de 25 000 euros à la clef. Une grand tante vous casse les pieds? Allez, hop, on la balance comme ancienne dame pipi à Auschwitz; ça lui apprendra a être plus généreuse à Noël, tiens !

Le Centre Simon-Wiesenthal rappelle qu'il reste aujourd'hui plus d'une centaine de nonagénaires vivants, anciens SS ou simple soutien du Führer, qui n'ont pas été jugés pour leurs crimes de guerre. Soit une bande d'une centaine de petits vieux, probablement tous atteint d'Alzheimer et qui doivent salir leur pantalon assez souvent. Question: est-ce que cela vaut la peine de lancer une campagne onéreuse pour les poursuivre et emballer la machine légale (payée par le contribuable) pour les juger?

Lâcher cette petite bombe en pleine période électorale n'est pas anodin et montre comment ce fantôme du passé est encore intimement lié aux décisions politiques allemandes, mais aussi à la mentalité de tout une société. Quatre-vingt après sa prise de pouvoir, Hitler continue d'hanter la vie de nos voisins d'Outre-Rhin, si bien que, si les Allemands sont si soucieux de ne pas faire de vagues sur des sujets comme l'immigration, l'homosexualité ou la séparation de l'Eglise et de l'Etat, c'est que la société allemande n'est jamais arrivée à passer le trauma de leur Sonderweg.

S., une amie franco-allemande, me racontait son enfance dans une école près de Cologne, et j'ai été sidérée de voir comme les écoles allemandes enseignaient la culpabilité dès le plus jeune âge "La première sortie scolaire a eu lieu dans un camp de concentration - à 5 ans ! Mes cousins français me racontaient leurs sorties au Parc Astérix, à la mer et au ski ! Ca avait l'air plus sympa d'être Français ! Et tout au long de ma scolarité, j'ai eu l'impression que le seul fait marquant de l'Histoire de mon pays, c'était l'extermination de 6 millions de gens. C'est en grandissant, et notamment en allant étudier en France, que j'ai vu que ma culture, c'était bien plus que ça."

La Seconde Guerre Mondiale exerce un charisme - négatif, certes, mais quand même un charisme - absolument hallucinant, rejetant Goethe, Bismark, Bach & compagnie au rang d'acteurs de second plan. Avouez que le mot "Hitler" est une des raisons pour lesquelles vous avez cliqué sur l'article ! Et vous comprenez quand je parle de charisme. Contrairement à ce qu'on aurait pu espérer, la disparition de la génération "nazie" n'a pas mis fin à cette obsession. Il n'y a eu qu'à voir la fréquentation du Deutsches Museum en 2010 et 2011 lors de son exposition sur Hitler et les Allemands, la première à parler du charisme d'Hitler et de l'engouement des Allemands pour le Führer : plus de 250 000 visiteurs en quatre mois, soit 3 fois plus qu'une expo "normale" temporaire. Les Allemands ont toujours besoin de comprendre. La question de la Shoah et de la responsabilité politique de l'ascension d'Hitler au pouvoir est une véritable obsession, et qui ressort au grès des campagnes électorales ou des événements politiques.

Berlin, d'ailleurs, la vend très bien aux touristes, la Seconde Guerre Mondiale, et certains d'entre eux ne trouvent rien d'étrange à demander où est-ce qu'ils peuvent "voir la Seconde Guerre Mondiale à Berlin". A Berlin, l'Histoire est en train de tourner au Disneyland malsain (j'en parlerai dans un article, un jour, de ce Disneyland de l'Histoire qu'est en train de devenir Berlin)

Nos sous (oui, je dis "nos", parce que je paye mes impôts en Allemagne) ne seraient-ils pas mieux utilisés à créer le futur de nos enfants au lieu de courir après une bande de petit vieux qui va de toute façon bientôt mourir? A être investi dans des programmes luttant contre la discrimination et facilitant l'intégration en général? Sans fixette sur ces groupes qui ont été massacrés pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais en élargissant cela à tous les type de discrimination? A interdire les partis d'extrême-extrême droite? A être investi dans les systèmes d'intégration des étrangers, des handicapés, des trasexuels itoutikanti? A renforcer les politiques de prévention? Bref, à servir à des causes pour le bien général et non pour la conscience politique des années 30?

Attention, je ne parle pas d'oublier les horreurs des camps de concentration et de la dictature nazie ou d'ignorer le sort des victimes. Loin de là ! Mais dans tout traumatisme, il y a un moment où il faut comprendre que la vie continue. Je crois que ce temps est plus qu'arrivé en Allemagne. Pour qu'enfin le fantôme de la Seconde Guerre arrête d'hanter toutes les décisions prises (et surtout non-prises) et que les Allemands s'occupent de créer Demain au lieu de ressasser Hi(tl)er.

Allez, je vous laisse sur cette réflexion estivale très gaie. Ce sera la seule que je m'autoriserais cet été, et franchement, avec cette chaleur, c'est plus du courage, c'est de l'abnégation. Je retourne discuter jardin bio avec mes p'tits Allemands.





3 commentaires :

  1. l'autre jour en faisant du sport, je regardais aussi les affiches electorales... j'ai bien aimé ton analyse, super fine et intelligente!

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  2. Analyse intéressante et fouillée même si j'ai toujours pas compris comment tu arrives à faire le pont entre les élections et l'opération "Last Chance". À ma connaissance le centre Simon-Wiesenthal n'est pas une organisation politique allemande mais une ONG américaine... Je ne crois pas qu'il soit financé par le contribuable allemand.

    En tout cas j'apprécie beaucoup ta critique des affiches et des programmes de campagne et suis bien de ton avis. Quelle crédibilité peut bien encore avoir la SPD en matière de lutte contre la pauvreté après les réformes de Schröder, je me le demande encore...

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    1. Je ne dis pas que le Centre Simon Wiesenthal est une organisation politique allemande, je dis que ce n'est pas étonnant que le sujet ressorte en période électorale. Cela ne me semble pas un hasard. L'expo sur Hitler et les Allemands n'étaient pas sortie en période électorale aussi (je crois que oui)? Bref, j'ai l'impression qu'à chaque fois qu'on a un événement politique, paf, on ressort les Juifs morts du placard. C'est quasi systématique...
      Quant au financement, si jugements il y a, les contribuables financent le fonctionnement de la Justice. Donc oui, nos sousous seront bien utilisés pour cela.

      Il y aurait plein de choses à dire sur les affiches électorales. Je vois que tu couvres d'ailleurs bien le sujet, sur ton blog :)

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